Adrien Falewée, du pétrole à la redirection des territoires de montagnes
Passionné par les récits d'aventures dès mon enfance, j'ai été bercé par d’intrépides voyageurs à travers les bandes dessinées de Tintin, d'Astérix et Obélix et les livres de Jules Verne. Leurs histoires ont indéniablement contribué à façonner l'adulte que je suis devenu. Cependant, malgré cette passion initiale, j'ai choisi de dissimuler mon penchant pour l'aventure et l'émerveillement pendant de nombreuses années au cours de mon parcours scolaire. Pendant l'adolescence, malgré de bons résultats académiques, une inquiétude sourde ne cessait de me hanter, me faisant réaliser que quelque chose n'allait pas. Je me sentais prisonnier d'un système en déclin, qui semblait m'entraîner vers un destin peu enviable.
Le moment crucial du choix des études arrive. Alors que j'avais été accepté dans des classes préparatoires pour tenter ma chance dans les grandes écoles d'ingénieur, j'ai finalement pris la décision de rejoindre, une école sur dossier : l'ICAM.
Pourquoi ce choix ? Lors d'une journée portes ouvertes de l'école, j'ai rencontré un étudiant qui m'a parlé d'un projet incontournable dans le programme : l'expériment. Ce projet implique de partir pendant quatre mois en respectant trois règles : financer soi-même le projet, être géographiquement éloigné de chez soi, et avoir un fil conducteur cohérent. Cette idée m'a captivé au point que j'ai su instantanément que c'était cette école que je voulais intégrer, rien que pour vivre cette expérience.
Ce projet va progressivement éveiller en moi le désir d'aventure, de tranquillité et d'émerveillement face à la nature. Après mûre réflexion, j'ai pris la décision de partir à l'aventure en embarquant sur un porte-conteneurs depuis Dunkerque jusqu'à Tahiti, avec pour prochaine destination l'Australie. Durant les 30 jours de voyage en mer, j'ai eu l'opportunité de savourer chaque instant : observer les poissons volants à l'avant du bateau, contempler les levers et couchers de soleil quotidiens, être émerveillé par l'arrivée à New York et découvrir le canal de Panama avec son impressionnante activité maritime. Je réalise à quel point notre monde globalisé détruit sur son passage tous les espaces naturels pour transporter des biens de consommation qui vont finir à la décharge ou bruler pour la plupart.
Porte-conteneurs “La Tour” de la CMA CGM en Atlantique
Traversée du canal de Panama.
“Sur la route” de Jack Kerouac dans le désert australien
“Uluru” lieu sacré pour le peuple autochtone Pitjantjatjara
Après avoir débarqué en Australie sans itinéraire précis, je me suis plongé dans la lecture de "Sur la route" de Jack Kerouac. Dès les premières pages, j'ai ressenti une connexion profonde : le narrateur entreprend un périple à travers les États-Unis en auto-stop, se laissant porter par les rencontres. Sans hésiter, j'ai décidé de traverser l'Australie sur 7500 kilomètres en auto-stop. Ce voyage m'a conduit à naviguer à bord d'un voilier dans les îles Whitsunday, à travailler dans une ferme pour élever des vaches, à chercher de l'or dans le désert, et même à camper sous les étoiles dans l'outback australien. Cette aventure, jalonnée de rencontres enrichissantes et de découvertes dans des endroits encore préservés de l'influence humaine, a profondément modifié ma perception du monde.
Ingénieur dans le pétrole – Yamal LNG
Pour mon premier emploi, j'intègre Technip, le leader français dans le domaine de la construction parapétrolière. Pendant cinq ans, j'ai travaillé sur le projet Yamal LNG, l'un des plus importants au monde dans le secteur du pétrole et du gaz, avec un budget dépassant les 60 milliards de dollars. Au fil des années, mon rôle a évolué, me permettant de contribuer à toutes les phases du projet, de la conception à la construction, en passant par la gestion des fournitures nécessaires.
Site de construction Yamal au cercle arctique.
Ce projet colossal m'a confronté à la démesure humaine, révélant les conséquences désastreuses de la course effrénée aux profits - l'expulsion des Nénètses de leurs terres ancestrales, la corruption, le manque d'humanité dans les relations de travail, et des conditions de travail sur le chantier – s’apparentant à une prison, au cœur des espaces vierges du cercle Arctique.
Pendant quatre ans à Paris et un an et demi à Saint-Pétersbourg, j'ai appliqué les enseignements de mes études en résolvant des problèmes techniques au sein d'une grande entreprise, sans remettre en question le bien-fondé de mes actions.
Début 2018, un premier signal d'alerte : une hernie discale et une pneumonie en l'espace de deux mois, à seulement 30 ans. Mon corps semblait m’alerter : en continuant ainsi, je risquais de me retrouver à 60 ans, avec un dos en lambeaux, stressé, insatisfait, aliéné par le travail. Il était donc évident qu'un changement s'imposait.
Te Araroa : La longue traversée
Il était temps de prendre une année sabbatique après cinq ans de travail : je souhaitais réaliser un projet fou ! Je démissionne pour traverser la Nouvelle-Zélande à pied sur 3000 kilomètres le long du Te Araroa.
Fou ? Probablement. Avec seulement deux randonnées à mon actif - la plus longue étant de 60 kilomètres sur les côtes irlandaises - on ne peut pas dire que je sois expérimenté et prêt. N'ayant pas fait de sport ces dernières années, j'ai accumulé les problèmes physiques : entorses, douleurs au dos, hernie discale...
Déterminé ? Absolument. Depuis plusieurs mois, je visualise ce projet et rien ne m'empêchera d'essayer.
Photos du Te Araroa en Nouvelle-Zélande, avec Chris (NZ) et Selena et Niko (Italie).
À travers les forêts vierges, les rivières sauvages, les volcans, les montagnes et les grandes plaines, je retrouve mon côté aventurier de l'enfance. Marcher est comme une forme de méditation : cela clarifie les idées, nous ancre dans le moment présent, nous connecte à notre environnement, nous débarrasse du superflu. On appréhende la sobriété en vivant avec peu.
Cette longue marche sera source de joie mais aussi de douleurs physiques (genoux, dos) et mentales, notamment mon mal-être face à ma déconnexion du monde vivant, la douleur de vouloir plaire aux autres plutôt que de m'écouter, le fait de ne plus comprendre le monde dans lequel je vis, d'être dans l'incompréhension devant une espèce humaine qui détruit son habitat plus qu'elle ne l'entretient... Toutes ces angoisses me font réaliser que nous, les humains, n'avons rien compris au monde vivant et de notre rôle sur cette Terre. Nous exploitons ses ressources tel un virus qui se propage et détruit tout sur son passage. La Nature nous offre tout chaque jour : eau, air, nourriture, émerveillement, épanouissement, vie...
Mais que faisons-nous réellement pour elle chaque jour ?
Vue depuis le sommet du Mont Ruapehu.
Eco-aventure et redirection des territoires de montagnes
Après une longue traversée, un nouveau déclic s'est produit lorsque j'ai participé à l'atelier de la Fresque Du Climat : cela a été une véritable révélation. Bien que conscient des problèmes climatiques, découvrir que l'homme est le seul responsable et que la situation est catastrophique a été un véritable choc. Apprendre que, en raison de l'acidification des océans, de l'augmentation de la température de l'eau et de la surpêche, les poissons pourraient disparaître en 30 ans m'a profondément attristé : j'ai pris conscience de l'urgence du problème.
Le troisième déclic est survenu 10 jours plus tard lorsque je suis allé voir la Mer de Glace. Au cours d'une longue descente éprouvante d'une heure et demie, j'ai constaté que le plus grand glacier de France disparaissait sous mes yeux. Le réchauffement climatique n'est pas une menace pour les générations futures : il est une réalité. Ce soir-là, désespéré, j'ai calculé mon empreinte carbone individuelle et ai été choqué qu’avec tous mes voyages en avion, j’explosais tous les compteurs : 50 tonnes de CO2 équivalent en un an... l’équivalent de 25 années d’émissions en respectant l’Accord de Paris.
Durant le deuxième confinement, j'ai fondé l'association "Footprint Project" afin de sensibiliser un large public en France, à travers des éco-aventures : sensibiliser 7000 personnes aux enjeux climatiques en parcourant 7000 kilomètres sur un tour de France, en 7 expéditions différentes (vélo, raquettes, randonnée, kayak, voilier ou avec un âne). L’été 2023, nous avons traversé les Pyrénées avec un âne pour rencontrer les élèves dans les écoles. Un documentaire sur cette aventure sortira à l'été 2024.
Sensibilisation dans une école lors du Footprint Project
Camping sauvage avec Jones, lors de la traversée des Pyrénées en 2023.
En parallèle, je me suis formé sur divers sujets (climat, permaculture, impact carbone, enjeux liés à l'eau et la biodiversité, etc) dans le but d'intervenir au sein des entreprises pour les aider. Initialement, j'utilisais le concept de "transition environnementale" peu engageant ; avant de retrouver Hervé pour des missions et faire la connaissance de Vincent et Aurélie, qui évoquent la "redirection écologique". Bien que je n’étais pas familier avec ce terme, je suis rapidement séduit par les principes exposés et convaincu que c'est la meilleure approche pour contribuer à un monde qui s’effondre. Grâce à l'agence 21-22, je rejoins une équipe engagée, alignée sur des valeurs humaines, qui œuvre pour provoquer des changements significatifs.
Implanté dans les Alpes, je guide les entreprises et les collectivités de la région Auvergne Rhône Alpes vers une prise de conscience des enjeux environnementaux, les encourageant à atténuer les causes et à s'adapter aux conséquences du dérèglement climatique. En première ligne face à ces bouleversements, ils seront les premiers à en subir les conséquences. Cependant, ils représentent également une opportunité remarquable, comme un véritable laboratoire pour expérimenter des solutions d'adaptation fondées sur la Nature. La température augmentant plus rapidement dans les Alpes, ils sont confrontés à deux alternatives : persister dans le déni et rendre leurs vallées invivables, abandonnées et dévastées, ou emprunter un nouveau chemin respectant les limites planétaires, garantissant ainsi aux habitants un environnement viable pour les années à venir. Dans ces régions où l'économie a trop souvent dictée ses lois, notamment via le tourisme, il est impératif d'intégrer des indicateurs environnementaux et sociaux pour garantir la pérennité des vallées.
Au sein de ce territoire, je participe au projet de Hugues Devries et Marc Buttin au Château de Menthon-Saint-Bernard, qui restaure la biodiversité en créant des forêts jardins comestibles via des chantiers participatifs. Il est primordial que les territoires retrouvent leur autonomie alimentaire et que leurs habitants soient initiés aux principes permacoles où tous les écosystèmes sont interdépendants.
Voilà pourquoi j'ai choisi de m'installer dans les montagnes : chaque jour, la vue de ces sommets enneigés, de ces lacs, de ces glaciers et de ces cols me rappellent pourquoi je m'engage quotidiennement.
Devenons des gardiens du vivant
Château de Menthon-Saint-Bernard avec Hugues et Marc
Ski de rando sur les glaciers du Parc national de la Vanoise