Je n’ai jamais réussi à traverser un mur, malgré quelques tentatives infructueuses.
C’est une limite malheureuse à mon action, qui cadre mon quotidien et qui conditionne mon champ d’action. Après tout, on s’y fait plutôt bien. On essaye une fois et on comprend par la douleur que c’est une limite infranchissable.
Je n’ai jamais trop essayé non plus de m’aventurer dans une pente glissante menant à une falaise mais j’imagine que c’est une expérience qui, trop poussée, ne se renouvelle point.
J’ai au maximum évolué à quelques mètres de la pente (zone d’opération sécurisée), j’ai pu mettre un pied en début de pente (zone de risque) mais me suis très vite ravisé pour ne pas être emporté mécaniquement et glisser (point de non-retour) vers la-dite falaise (point de bascule).
Les limites planétaires définies par l’équipe du Stockholm Resilience Center (SRC) conduite par Johan Rockström, c’est un peu l’histoire de cette pente et de cette falaise, mais à l’échelle de nos sociétés.
Nos activités humaines ont désormais un impact si fort sur notre environnement que nous sommes devenus la force géologique majeure sur notre planète. Nous exploitons à notre avantage les ressources disponibles sur Terre sans trop nous soucier des conséquences sur notre propre environnement. Se poser la question des limites, c’est définir un périmètre d’action sécurisé pour nos activités, identifier le début de pente, le point de non-retour, et la falaise (si elle existe). Le but étant d’éviter un roulé boulé ou une chute vers une zone inconnue.
En 2009, l’équipe du SRC définit neuf limites planétaires à ne pas franchir pour ne pas risquer de dérégler les équilibres du système Terre composé de ses différentes sphères en interaction (hydrosphère, atmosphère, biosphère, cryosphère, lithosphère). La définition d’une limite est plus complexe pour de la systémique planétaire que pour une falaise, ils parviennent néanmoins à définir des valeurs de contrôle et des seuils pour la majorité de ces limites. Trois limites sont alors considérées déjà dépassées (biodiversité depuis 1950, cycle de l’azote depuis 1970, changement climatique depuis 1990).
Actualisation en 2015, la définition de chaque limite se précise, des valeurs de contrôle régionales viennent compléter et enrichir les valeurs globales. Une redéfinition de la limite concernant le changement d’usage des sols amène le SRC à conclure que cette limite est aussi franchie (la date de franchissement n’est pas précisée).
En 2022, deux nouvelles publications parviennent à définir des valeurs de contrôle et des seuils pour l’utilisation de l’eau et pour la pollution. Ils considèrent alors que six limites sur neuf sont franchies. A noter que 2022 est la date où des scientifiques sont parvenus à quantifier ces deux limites et leur dépassement mais pas la date à laquelle les limites ont été franchies.
Pour définir une limite, il est bon de se référer au principe de précaution, c’est-à-dire ne pas hésiter à mettre une limite en amont de la zone de risque, et il est bon également que cette frontière soit juste, c’est-à-dire qu’elle permette l’épanouissement de tous et toutes. C’est en 2023 que cette notion de justice sur les limites planétaires apparaît, approfondissant et enrichissant ce cadre conceptuel.
A quand la prochaine limite ? Plusieurs facteurs peuvent jouer :
- La continuation de nos activités et de leurs impacts, nous rapprochant des zones de risques.
- L’évolution des connaissances scientifiques permettant de mieux quantifier les limites et leur valeur de contrôle (2022, cadre de contrôle pour la pollution et l’utilisation de l’eau), voire de changer les valeurs de contrôle (2015, redéfinition de la valeur de contrôle pour le changement d’usage des sols)
- L’évolution du cadre conceptuel des limites planétaires (2023, une limite doit permettre la sécurité et la justice)
Malgré sa jeunesse et sa complexité, le concept des limites planétaires est un outil scientifique extrêmement précieux et robuste pour définir le cadre dans lequel nous et nos enfants pouvons jouer sans risquer le glissement.
N’oublions pas que la Terre est un système qui peut connaître une multitude de points d’équilibre et que son état actuel en fait un paradis stable et tempéré pour le développement de notre civilisation. C’est le seul état de la Terre que nous savons avec certitude qu’il nous permet de vivre à plusieurs milliards.
Transformons ces limites en murs ! Pour être certain de ne pas les traverser et risquer de glisser vers l’inconnu.